16 octobre 2023
Inquiétude et détermination, c’est ainsi que l’on pourrait résumer l’état d’esprit de l’ensemble des élus et acteurs de la formation. C’est dans ce contexte un peu particulier que Christelle Morançais a organisé à l’Hôtel de Région, à Nantes, un Grenelle extraordinaire de l’apprentissage, réunissant 500 personnes : apprentis, CFA, entreprises et parlementaires. La présidente de Région a tenu à rappeler « qu’il est nécessaire de rester en proximité des entreprises, pour identifier leurs besoins en recrutement, des CFA pour leur permettre d’accueillir leur public dans des locaux attractifs, des jeunes et des familles, pour leur donner une belle image de cette voie de formation d’excellence qu’est l’apprentissage et leur offrir un service de qualité. » Grand témoin de ce Grenelle de l’Apprentissage, l’économiste et spécialiste du monde du travail Bertrand Martinot, auteur notamment de "L’apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes", a rappelé « qu’en tenant soigneusement à l’écart les Régions, compétentes sur cette matière depuis 1983, ce projet de loi passe à côté de l’essentiel. En effet, l'évolution générale de l'économie française ne repose guère sur une logique de branches, mais plutôt sur la tertiarisation des activités et la transversalité des formations. »
Résultats convaincants, dispositifs innovants
Pour l’heure, la réforme est jugée « inadaptée » par Christelle Morançais, et comme elle l’avait déjà rappelé en février dernier, en visitant différents CFA, cette réforme ne répond pas « aux véritables enjeux locaux » et surtout risque « d'affaiblir le développement de l’apprentissage, alors qu’en Pays de la Loire, l’apprentissage est une véritable réussite. » En effet, en Pays de la Loire, l’apprentissage fonctionne et les investissements consentis dans ce domaine ont déjà porté leurs fruits. Il permet notamment à sept jeunes sur dix de trouver un emploi moins de six mois après la fin de leur apprentissage. La dynamique locale autour de cette voie d’excellence place la Région des Pays de la Loire à la 1ère place en termes de résultats et cela grâce au Plan de relance de l’apprentissage lancé en 2016 par la Majorité, qui a permis d’augmenter en seulement deux ans le nombre d’apprentis de 11 % (6,8 % en 2017), alors que la progression nationale n’atteint que 2,3 % en 2017 et 4,2% en deux ans (source DARES). De même, aux 200 ouvertures de formations en 2016 et 2017 s’ajoutent 105 prévues à la prochaine rentrée, des mesures nouvelles en faveur des apprentis (logement, permis de conduire…) et des entreprises (aide régionale au recrutement du premier apprenti) ont été mises en place pour valoriser et faire connaître cette voie d’excellence.
Une gestion régionale pour maintenir le lien local
À l’écoute des différentes interventions de ce Grenelle, le fait de retirer la compétence de l'apprentissage aux Régions pour les transférer aux branches professionnelles et à leurs organismes paritaires collecteurs agréés, ne participera pas à la promotion de cette voie d’excellence. C’est notamment l’avis de Valentin Riobé, ancien apprenti et aujourd’hui électricien, médaillé d’or des sélections régionales des 45e Olympiades des métiers. Extrait de son témoignage : « Je n’arrive pas à comprendre comment l’État pourrait-il mieux inciter les jeunes à se tourner vers l’apprentissage, depuis Paris… Il faudrait au contraire réduire les distances entre les jeunes et les formations qui existent proches de chez eux. J’ai par exemple certains de mes camarades qui ne se sont pas tournés vers cette voie tout simplement parce qu’ils ne savaient pas que l’apprentissage existait. » Pour favoriser l’information et la connaissance sur cette compétence, « la Région a multiplié les actions en faveur de l’apprentissage », confirme Christelle Morançais. « Le succès rencontré par l’Apprentibus, pour valoriser les métiers et l’apprentissage auprès des collégiens, ou encore la création d’Ambassadeurs de l’apprentissage, montre bien à quel point il est nécessaire de conserver cette gestion régionale pour coordonner l’offre de formation, mais aussi toutes les actions de promotion de l’apprentissage. Mais, demain, avec la réforme annoncée, comment pourrons-nous organiser et financer l’Apprentibus, ou les Olympiades des métiers ? »
Quelles sont les principales inquiétudes autour de cette réforme ?
- FRAGILISER. En donnant la possibilité à tout organisme de formation de proposer l’apprentissage sans régulation aucune, une concurrence entre les centres va se mettre en place, elle risque de fragiliser un grand nombre des CFA existants.
- EQUILIBRE. Le financement des CFA au contrat, sur la base d’un coût national fixé par les branches, aura des répercussions sur la prise en compte des spécificités liées au secteur d’activité ou au territoire et risque de mettre en cause la viabilité économique de certains CFA.
- INVESTISSEMENTS. Concernant le financement des investissements et des équipements dans les CFA, l’enveloppe financière qui sera attribuée par l’État à chaque Région (et dont le montant n’est pas précisément connu à ce jour), ne permettra pas de faire face à la fois aux projets engagés et aux demandes nouvelles d’investissement des établissements.
- GARANTIE. La réforme ne donne pas de garantie concernant les nombreux dispositifs aujourd’hui financés par la taxe d’apprentissage : elles concernent particulièrement les aides aux apprentis, la mobilité européenne, les Actions éducatives (qui concernent 6000 apprentis chaque année en Pays de la Loire), l’organisation des Olympiades des métiers…
Les questions sans réponses restent aujourd’hui très nombreuses et très préoccupantes. La libéralisation de l'offre de formation et la fin de la péréquation de la Région pose une question économique : si la Région n’est plus en charge du financement du déficit de certains centres, les formations de moins de dix apprentis pourraient être menacés. Le financement au contrat pourrait menacer la viabilité de 30 à 40 centres de formation des apprentis en région.
André Martin, Président de la commission Emploi, apprentissage, formation professionnelle et insertion de la Région Pays de la Loire
Les professionnels tiennent à préserver la cohérence de la carte des formations, que la libéralisation du secteur pourrait bouleverser. L’enjeu est de ne pas délaisser les zones rurales et de préserver l'égalité des chances. Or, certains secteurs économiques auront davantage de moyens financiers pour assurer le financement des établissements. Avec cette réforme, certaines branches moins bien structurées risquent d'être moins bien représentées, notamment dans les zones rurales.
Pauline Mortier, vice-présidente du Conseil régional déléguée à l’apprentissage